Interventions

Philippe Brassac : « Les taux bas engendrent des effets pervers à long terme »

Philippe Brassac a réservé sa première interview en tant que président de la FBF aux Echos du 16 septembre 2016. Il y détaille les priorités de sa présidence 2016-2017.

Vous venez de prendre la présidence de la Fédération bancaire française (FBF). Quelles sont vos priorités pour l’année qui s’ouvre ?

Tout simplement permettre aux banques françaises de continuer à financer l’économie de manière efficace et d’accompagner les transformations sociétales en cours. Nous devons être des accompagnateurs : qu’il s’agisse de relever le défi de l’accession à la propriété par une offre de crédit immobilier adaptée, ou celui de la transformation énergétique grâce à des financements innovants comme les obligations vertes par exemple.

Vous revendiquez la solidité des banques françaises mais certaines figuraient par ailleurs dans la deuxième moitié du peloton des résultats des stress test de la BCE cet été…

Il n’y a aucune ambiguïté : l’impact des stress scénarios sur les fonds propres des banques françaises est nettement inférieur à la moyenne européenne et elles conservent toutes un niveau de capital très satisfaisant. Nos établissements ont plus que doublé leurs réserves de fonds propres en quelques années et leur capacité de résistance est clairement confirmée par les derniers stress tests.

Les banques françaises sont-elles particulièrement visées par les travaux du Comité de Bâle ?

Ce qui se discute aujourd’hui à Bâle 4 ce n’est pas un bras de fer entre les USA qui voudraient des règles plus strictes et plus prudentes pour les Banques et l’Europe qui se contenterait de plus de laxisme : c’est exactement l’inverse ! Les USA plaident, sous couvert de simplicité, pour un retour aux modèles dits standards (c’est-à-dire Bâle 1), et la France (entre autres pays) souhaite au contraire que les Banques qui ont beaucoup investi dans Bâle 2 et Bâle 3 sur des modèles beaucoup plus sophistiqués d’appréciation des risques, puissent les conserver ! Rajoutons que pour apporter de l’objectivité, il n’est pas difficile d’observer qu’en Europe, ce sont les banques qui ont le plus appliqué les modèles dits internes ou avancés qui ont le mieux maîtriser leur niveau de risque. Soyons simples : le risque de Bâle 4, c’est que ce soit en fait un « Bâle 1,5 ». C’est inacceptable.

La politique de taux très bas de la BCE est-elle porteuse de risques ?

La BCE a fait sa part de travail avec la baisse des taux, qui est une condition nécessaire -mais non suffisante- de la reprise de la croissance. Cette politique engendre toutefois des effets pervers à moyen et long terme. Pour le système bancaire français, la situation est d’autant plus complexe que notre système d’épargne réglementée [Livret A, LDD, PEL…] fixe des planchers de rémunération, empêchant tout le système d’intermédiation de s’adapter à un environnement de taux durablement bas. Quant au taux de dépôts négatif sur les liquidités que les banques déposent aux guichets de la BCE, il s’agit d’une pénalisation objectivement inefficace. Nous demandons tout simplement plus de cohérence entre la politique monétaire et la politique prudentielle.

La loi Macron qui va faciliter la mobilité bancaire va-t-elle stimuler la concurrence et rebattre les cartes ?

La concurrence est une bonne chose, mais attention au diagnostic : si les clients changent peu de banque en France, ce n’est pas principalement pour des raisons techniques, c’est aussi parce que les clients ont un intérêt objectif à une relation globale et durable avec leurs banquiers dont le métier est bien de les accompagner dans le temps.

Après le Brexit, les banques françaises pourraient-elles récupérer des activités de la City ?

La France peut tirer son épingle du jeu, mais il faut bien sûr pour cela une stratégie globale cohérente et constante. De façon pragmatique, si la fiscalité sur les systèmes bancaires demeure très élevée, si la taxe sur les salaires qui nous frappe particulièrement reste élevée, ce sera difficile d’attirer la création de nouveaux emplois de la finance chez nous. Cela se jouera donc au niveau politique.

Les acteurs du digital investissent en masse les services financiers. Comment les banques doivent-elles réagir ?

De nouveaux acteurs bancaires et non bancaires apparaissent ce qui est parfaitement normal dans le jeu de la concurrence. Mais le digital existe en France depuis longtemps dans le domaine de la banque et des paiements notamment. On le voit avec l’usage du mobile par nos clients qui est d’ores et déjà quasi généralisé. Mais je crois surtout qu’il y a une erreur d’appréciation : tout le monde sait d’ores et déjà ouvrir des comptes, faire de la banque à distance et innover dans le mobile-banking : mais la banque ce n’est pas que de la distribution, que des process opérationnels. La banque est avant toute chose un métier de l’engagement relationnel, où la confiance joue un rôle fondamental : à la fois en termes de sécurité des systèmes que de loyauté des conseils. La concurrence est ouverte, mais ce sera toujours ceux qui mériteront vraiment la confiance de leurs clients qui gagneront.

Les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) sont des acteurs redoutables parce que puissants, et avec une image de marque solide. S’ils se lançaient dans la banque, je leur dirais tout simplement  » bienvenue au Comité de Bâle ! « .

Philippe Brassac: « Low rates will have perverse long term effects »

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