Interventions

Interview de Frédéric Oudéa, Président de la FBF, sur Europe 1

Croissance, avenir du CDI, frais bancaires : Frédéric Oudéa est l’invité d’Emmanuel Duteil sur Europe 1 pour faire le point sur les enjeux du secteur bancaire.


Interviewé le 10 janvier 2016 par Emmanuel Duteil pour son émission EcoSystème sur Europe 1, Frédéric Oudéa, Président de la Fédération Bancaire Française, livre son analyse sur les enjeux du secteur bancaire en 2016.


Emmanuel DUTEIL
La mesure phare [que les patrons] prônent, c’est la fin du CDI comme on le connaît aujourd’hui, c’est une sorte de contrat où on gagnerait peut-être des avantages en fonction de l’ancienneté, où il serait plus facile de licencier. Vous signez, vous, Frédéric OUDEA, pour un tel contrat ?


Frédéric OUDEA
Oui mais je crois qu’il faut expliquer pourquoi ce type d’idée est potentiellement porteuse. D’abord l’emploi, c’est la préoccupation de tous les Français. On le sait, derrière l’emploi, c’est la situation de chacune et de chacun mais c’est aussi, au fond, l’adhésion à la démocratie, l’adhésion au projet européen, donc c’est quelque chose d’absolument fondamental. […] il faut une stratégie de long terme et une stratégie qui touche différentes choses parce que l’économie est diversifiée (un secteur ne fonctionne pas comme un autre) et beaucoup de cohérence. Nous sommes dans un monde complexe.
[…]
Dans ce monde complexe, il y a une peur à l’embauche […] Donc agissons tout de suite dans le cadre d’une stratégie cohérente, en faveur de la création d’emplois en entreprise – je crois qu’on a tous bien compris que c’est l’entreprise qui va créer des emplois durables – et y compris en réfléchissant à des formes de contrats qui vont justement à la fois être peut-être plus sûrs que le CDD mais en même temps permettre cette flexibilité. Je pense qu’il ne faut pas qu’il y ait de sujets tabous dans ce domaine.
[…]


Emmanuel DUTEIL
Le gouvernement veut par exemple avancer a priori sur l’apprentissage ; est-ce que vous, du côté des banques, s’il y a des mesures qui vont dans le bon sens, vous pouvez vous engager et dire : oui, on embauchera des apprentis si c’est plus intéressant.


Frédéric OUDEA
Le secteur de la banque est un secteur qui emploie déjà énormément d’apprentis. La banque en France, ce sont 370.000 emplois et nous avons recruté en 2014, 35.000 personnes. Une voie essentielle, c’est l’apprentissage ou des contrats de formation en alternance. On aime beaucoup cette forme de recrutement où le jeune est placé en situation de comprendre le métier bancaire tout en continuant ses études et c’est bien sûr une voie d’embauche naturelle.
[…]


Emmanuel DUTEIL
Si on devait casser le CDI comme on le connaît aujourd’hui, est-ce que vous, les banques, vous n’avez pas également une responsabilité dans le sens où avec un CDD, bien souvent, on a du mal à se loger à Paris, à acheter parce qu’une banque ne veut pas me prêter de l’argent. Comment on fait si on n’a plus de CDI ?


Frédéric OUDEA
Là il faut concilier plusieurs choses et vous avez raison de le souligner, il faut que nous-mêmes on s’adapte à l’évolution de l’économie. Premièrement, je le rappelle, les banques françaises financent léconomie. Les crédits augmentent pour les entreprises, à 4,5%, pour les particuliers, à 3,7%. Ça veut dire pour les entreprises par exemple, plus de 35 milliards d’euros de crédits supplémentaires depuis un an. Deuxièmement, il faut continuer à faire un crédit responsable.
[…] parce que c’est ça qui a permis de faire tenir le système bancaire français et qui évite des situations par exemple de surendettement qui sont extraordinairement pénibles. Par contre, troisième point, face effectivement à des situations différentes […] Il est probable qu’il faille qu’on réfléchisse, s’il y a moins de sécurité sur le salaire, à d’autres formes de crédits…
[…]


Emmanuel DUTEIL
Et ça, ça pourrait arriver quand en France ?


Frédéric OUDEA
Vous avez déjà des nouvelles plateformes, des nouveaux entrants… On est dans un monde de diversité des modes de financement qui se développent, les plateformes de crowdfunding, des modes de financement différents… […]


Emmanuel DUTEIL
Alors vous disiez que vous financiez énormément l’économie. Pour autant, il y a beaucoup de petits patrons qui nous disent  » je ne comprends pas, mon carnet de commandes est plein, oui, j’ai un petit problème de trésorerie mais ma banque me coupe les vivres et je vais donc être obligé de déposer le bilan « . Qu’est-ce que vous répondez à ces petits patrons qui ouvrent leur carnet de comptes et on voit bien que le carnet de commandes est plein ?


Frédéric OUDEA
[…] Statistiquement, selon la Banque Centrale Européenne, les demandes de crédit sont satisfaites à plus de 90% quand quelqu’un veut investir ; et ce qu’on appelle les crédits de trésorerie, à plus de 70%. Donc statistiquement, les entreprises ont les crédits qu’elles souhaitent. Et puis ensuite, il y a toujours des cas où c’est vrai, peut-être que la réponse est trop lente ou devrait être positive.
[…] les situations où le crédit n’arrive pas sont parfois plus complexes que ce qu’on dit. Nous sommes mobilisés depuis maintenant six ans, depuis le début de la crise, pour délivrer le crédit – c’est en France que ça se passe le mieux par rapport au reste de l’Europe. Je ne pense pas que le sujet de la croissance soit aujourd’hui un sujet de financement de l’économie, d’autant plus que les taux que nous pratiquons, sont aussi parmi les plus bas en zone Euro. Le taux moyen aujourd’hui pour un crédit d’investissement à trois ou cinq ans, c’est de l’ordre de 1,8 – 1,9%…
[…]


Emmanuel DUTEIL
Aujourd’hui, on a commémoré les attentats de Charlie-Hebdo. Est-ce qu’aujourd’hui, vous, vous êtes capable de nous dire quel a été l’impact économique, s’il y en a eu un, de ces attentats sur l’économie française en 2015 ?


Frédéric OUDEA
[…] L’impact est probablement plutôt marginal, par rapport à des choses qui aident à la croissance et que nos auditeurs doivent ressentir : un prix du pétrole pas cher, les taux d’intérêt sont bas […] les crédits restent à des taux extraordinairement attractifs.
[…]En moyenne, 2,2% (pour les crédits immobiliers), c’est des taux très très bas et si vous avez un bon projet, ça vaut vraiment le coup de regarder et normalement, les taux devraient rester à ces niveaux-là ou très proches, tout au long de l’année 2016.
[…]


Emmanuel DUTEIL
ORANGE […] dit qu’il veut être le FREE de la banque, autrement dit complètement casser le marché. Vous avez peur ?


Frédéric OUDEA
Non, parce que d’abord la concurrence, c’est quelque chose qui stimule, qui est sain et notre marché est concurrentiel… il y a d’ores et déjà de très nombreux nouveaux entrants. Tous les jours on parle à la radio de start-up qui viennent là aussi développer des modèles. Vous avez dans le monde bancaire des modèles qui eux-mêmes cassent les prix. Donc c’est une concurrence à laquelle nous devons nous adapter et qui nous stimule. Deuxièmement, je crois que les banques sont totalement capables de justement s’adapter…


Emmanuel DUTEIL
Vous êtes capables du coup, de baisser vos prix, parce qu’il dit qu’il va être moins cher que vous !


Frédéric OUDEA
D’abord il faut savoir que les prix des tarifs bancaires depuis quinze ans, ont évolué beaucoup moins que l’inflation. Quand vous regardez le prix du service bancaire en 2016, il se situe au même niveau que 2013 alors même qu’on a beaucoup plus de coûts et de contraintes qui nous sont imposés par la réglementation. Donc nous sommes face à une concurrence, vous le dites vous-même, en permanence, du digital, de nouveaux entrants qui vont proposer de nouveaux modèles. La question ensuite, c’est quel est le prix pour un service donné. Vous n’aurez pas le même service par exemple dans une banque mobile, sans agence que dans une banque où vous pouvez aller voir un conseiller.
[…]Je suis confiant sur le fait que les banques savent s’adapter, à condition bien entendu de savoir et de comprendre que le digital change profondément la donne ; les technologies numériques, ça va changer le mode de relation des banques avec leurs clients bien sûr.


Emmanuel DUTEIL
Pourquoi avoir augmenté les frais bancaires, là au 1er janvier ? De nombreuses banques l’ont fait. Quelle est la raison d’augmenter les frais bancaires quand on voit que de nouveaux entrants arrivent et viennent vous concurrencer ?


Frédéric OUDEA
Comme je l’ai dit, les banques sont des sociétés de services ; chacune des banques a sa politique de tarification. [… ] en 2011, il y a la moitié des banques françaises qui facturent la tenue de compte… ce n’est pas quelque chose de nouveau… […] la gestion d’un compte, c’est un service ; ce n’est pas à zéro coût…
[…] au contraire, ça coûte de plus en plus…il y a plein de choses que vous ne voyez pas… […]La sécurité : nous avons des règles qui nous imposent de bien vérifier nos clients, de vérifier la sécurité des transactions financières, le nombre de contrôleurs derrière la simple ouverture d’un compte est bien supérieur aujourd’hui qu’il ne l’était il y a trois ans.
[…] j’imagine, assez content que votre argent soit en sécurité ! La lutte contre la fraude, le fait que votre argent sera bien là, les paiements fonctionnent, c’est quand même un atout […]
[…] par rapport par l’exemple de la téléphonie, le coût bancaire en général, c’est un tiers de ce que vous dépensez dans votre mobile.


Emmanuel DUTEIL
Est-ce qu’il faut s’attendre également à d’autres coûts supplémentaires ? Je pense aux chèques. […] Est-ce que ça va être payant, les chèques ?


Frédéric OUDEA
C’est vrai que ce que vous soulignez, c’est qu’on est une anomalie aujourd’hui en Europe ; les Français aiment le chèque – alors est-ce que c’est parce que il est gratuit ? Peut-être, pas seulement […]
Il va rester gratuit à mon avis, en tout cas je ne pense pas que ça change aujourd’hui mais la question n’est pas là. Au fond, les comportements vont évoluer d’eux-mêmes au fur et à mesure que vous aurez de nouveaux moyens de paiement. Aujourd’hui vous savez, vous pouvez par exemple faire un virement par SMS, vous allez avoir des moyens de paiement nouveaux qui vont se développer et je pense que petit à petit, de plus en plus de clients n’utiliseront plus les chèques. Ça sera plus quelque chose de naturel comme ça.

Interview de Frédéric Oudéa, Président de la FBF sur Europe 1

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